Les ‘amplificateurs relationnels’ de l’architecte-scénographe Alain Moatti
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 22 octobre 2020
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Alain Moatti ne se contente pas de faire des ouvrages, l’ architecte-scénographe veut en faire des « amplificateurs relationnels », ancrés dans les enjeux de leur temps. Ce vrai penseur avide de lumière, connu, entre-autre, pour l’aménagement du premier étage de la Tour Eiffel a développé au sein de son agence Moatti-Rivière une cellule de recherches et de transformations urbaines.
Kaléidoscope de matières et d’idées
Il est difficile de vraiment cerner l’œuvre d’Alain Moatti, même s’il se définit avec modestie comme « architecte-scénographe ». Nourries d’abondantes lectures et d’observations de la nature, ses œuvres vont en effet bien au-delà dans une vaste vision humaniste . Cette « architecture de narration » montre combien cet utopiste au sens propre aime à inventer de nouveaux concepts : « La scénographie est l’art de la narration, nous l’avons appliqué à l’architecture. Ainsi notre architecture met en scène, prolonge les histoires des lieux pour transmettre de l’émotion et de la connaissance. On ne propose pas seulement un bâtiment, mais un lieu de vie unique » explique Alain Moatti. Pour réussir cette quête, il développe dans son agence Moatti-Rivière une cellule de recherche, dédiée à la transformation de la matière, qui puisse concilier développement durable et émotions.
Une vie faite d’un invincible été
Né en 1957 à Miliana en Algérie et vivant à Paris depuis 1961, Alain Moatti fait sa devise d’une citation d’Albert Camus : « Au milieu de l’hiver, je sens en moi un invincible été ». Sa passion est avant tout la lumière, bien avant la mer ou l’opéra. Une autre citation de Camus dans ‘L’été’ convient bien à cette personnalité qui se nourrit de l’énergie de l’art et lui donne sa force : « Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toujours neuve. O lumière ! c’est le cri de tous les personnages placés, dans le drame antique, devant leur destin. » Comme son compatriote d’exil, sa blessure intime est de ne pas savoir précisément où il est chez lui. « Il est seulement chez lui, dit-il, quand il retrouve, où que ce soit, cette lumière forte connue en Algérie. » Soleil, épices et ombres fortes… en mémoire.
Défricher des chemins nouveaux
Pas étonnant alors que ses références soient celles d’artistes comme l’ américain James Turrell (né en 1943), véritable sculpteur de la lumière et de l’espace, même si ce dernier pourrait le jalouser pour avoir inventé pour un hôtel à Dubaï un incroyable brumisateur d’eau sur la façade de l’immeuble qui fasse apparaître un arc en ciel éphémère.
La lecture comme aiguillon de la créativité
Vous l’aurez compris, depuis toujours, c’est la littérature qui nourrit sa créativité et l’aide à mieux prendre conscience du monde : « L’homme tend à libérer en lui la vie, le travail et le langage. écrit Gilles Deleuze (Foucault, 2014) Le surhomme, c’est, suivant la formule de Rimbaud, l’homme chargé des animaux même. C’est l’homme chargé des roches elles-mêmes, ou de l’inorganique. C’est l’homme chargé de l’être du langage. »
Dans cet esprit « de défrichement des chemins nouveaux », Alain Moatti cite deux livres de référence : ‘Informatique céleste’ du philosophe français Mark Alizart et ‘La vie des plantes : une métaphysique du mélange’ du philosophe italien Emanuele Coccia. Il est urgent pour lui de « comprendre l’information que l’on trouve dans le cosmos, comment le traduire et comprendre les plantes qui habitent en nous. » L’architecte considère comme essentiel cette promesse d’une réconciliation et l’égalité des humains, avec les végétaux et les animaux pour nous permette de ne faire qu’un. Une révolution sur la place de l’homme dans le monde.
L’architecture est l’art du souvenir
Si nous avons mentionné longuement ses références philosophiques et littéraires, c’est parce que tous les projets d’Alain Moatti commencent par l’écriture. Non pas un texte de description mais une vision, sur ce que le projet permettra de vivre d’unique : « le souvenir qu’il pourra laisser et l’envie d’y revenir » insiste-t-il. C’est seulement après qu’il se lance dans des milliers de croquis où l’informatique est absente. Ses équipes sont là pour prendre le relais. Ce qui ne signifie pas qu’il tourne le dos à ce qui se fait de plus pointu en terme technique. « Le numérique permet de réintroduire de l’artisanat dans l’industrie » Par la machine, on ramène de l’artisanat avec des formes complexes. L’imagination n’a presque plus de limite aujourd’hui parce que les savoir-faire ont évolué. »
Encore faut-il être habité d’une poésie subtile avec la modestie de ceux qui travaillent entre le réel et l’imaginaire. Cette quête prolonge le dialogue créatif avec son grand ami architecte ‘habitologue’ hongrois Antti Lovag (1920-2014), connu pour ses maisons bulles et ses architectures organiques. Tous deux convaincus que l’architecture doit relier les hommes à la vie et les uns aux autres.
Une architecture, véritable amplificateur relationnel
Cet engagement au sein de la Cité se précise dans le documentaire « L’expérience du vide » pour la chaine culturelle museum.tv pour le programme ‘journal d’un artiste confiné’ : « J’aimerais proposer une architecture pour l’humain, non pas pour l’Homme, le Grand Homme mais pour l’humain, sa fragilité et ses émotions. J’appellerais cette architecture ‘amplificateur relationnel’. J’aurais envie que cette architecture permette d’augmenter les relations, qu’elle ne soit pas une architecture de l’utile mais de l’inutile. L’inutile est souvent l’essentiel. Il nous amène des relations nouvelles ».
Alain aime créer des lieux, des mises en scène que chacun puisse habiter, un endroit où parfois le parfum vient jouer avec l’espace pour provoquer des souvenirs futurs… « Nous proposons non pas un flacon, mais un parfum » métaphore Alain Moatti. Cet orgue à sensations n’est-il pas une belle définition d’un art contemporain humaniste ?